+
Messieurs les Chanoines,
Monsieur le Curé,
Messieurs les Abbés,
Révérends Pères,
Mes Soeurs,
Très chers Fidèles,
Même si ce n’est pas directement l’apparition que ce Jubilé célèbre, voici les paroles de Notre-Dame, se révélant à 4 reprises, en la nuit du 3 novembre 1637, au Frère Fiacre de Sainte-Marguerite – religieux augustin déchaux né il y a 410 ans et dont le coeur repose au sanctuaire que nous rejoindrons cet après-midi : « Mon enfant, n’ayez pas peur, je suis la Mère de Dieu ».
Le bon religieux, voulant se prosterner devant l’Enfant qu’elle tenait dans ses bras, se vit interrompre dans son élan :
« Ce n’est pas mon Fils. C’est l’enfant que Dieu veut donner à la France (le futur Louis XIV). […] Pour témoignage, comme je veux que vous avertissiez la Reine qu’elle fasse faire les 3 neuvaines en mon honneur, voilà la même image qui est à Notre-Dame de Grâces en Provence, et la façon de l’église ».
La Très Sainte Vierge faisait explicitement référence à ses deux apparitions d’un siècle plus tôt, les 10 et 11 août 1519, au pieux bûcheron Jean de La Baume :
« Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux consuls de Cotignac de me bâtir ici-même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces, et qu’on y vienne en procession pour recevoir les dons que je veux y répandre ».
Le mois suivant, la construction de l’église commençait, et cinq ans plus tard, était fondue la cloche de 720 kg qui a sonné la Messe tout à l’heure, la même qu’entendit Louis XIV. Nous savons l’importance des cloches, qui prêtent leur écho au ministère des saints Anges pour annoncer les grâces que le Ciel veut répandre, et repousser les esprits impurs grâce à la vertu exorciste de leur baptême. Le dernier bulletin diocésain donne la traduction des paroles gravées sur ses flancs ; faisons-en notre prière : “Marie de Grâces, priez pour nous, demandez : pour nous une âme pure et spontanée, l’honneur à Dieu et la libération à notre Patrie”.
Est-il donc lieu plus adéquat pour célébrer cette Messe du Voeu de Louis XIII (extraite du Missel parisien) qu’en ce village béni de Cotignac ? La Très Sainte Mère de Dieu a en effet comme forgé un jumelage avec la cathédrale et le couvent des Augustins de la capitale, en unissant ces sanctuaires dans une triple neuvaine.
Et comme le Frère Fiacre, envoyé par Louis XIII 3 jours avant la signature du Voeu afin de remercier le Ciel pour la grossesse de la Reine et y faire célébrer une neuvaine de Messes…
comme le Frère Fiacre à nouveau, renvoyé 7 ans plus tard par Anne d’Autriche apporter un tableau montrant le jeune Louis XIV offrant sa couronne et son sceptre…
comme ce même Louis XIV venu ici le 21 février 1660 (jour anniversaire de Frère Fiacre) déposer devant la Vierge son cordon bleu et le diamant de son anneau…
comme ce même Frère, l’année suivante, accueilli triomphalement pour déposer le contrat de mariage du Roi…
vous venez, vous aussi, chers pèlerins, répondre à l’appel de notre Souveraine, ayant parfois traversé plusieurs provinces pour rejoindre Cotignac en ce Jubilé, désireux de gagner l’indulgence plénière accordée par la Sacrée Pénitencerie apostolique, tout en honorant le jeune Ordre de Saint Remi que Mgr Rey a reconnu en octobre dernier, et qui accueille en ce jour deux prêtres affiliés et un chanoine d’honneur, augustin comme le Frère Fiacre…
L’audacieuse ambition de cette fondation est celle tracée par Pie XI :
« Nous prions Dieu que la France catholique soit la Fille première-née de l’Église romaine ; qu’elle échauffe, garde, développe par la pensée, l’action, l’amour, ses antiques et glorieuses traditions pour le bien de la religion et de la patrie ».
Son homonyme prédécesseur s’était lui aussi écrié :
« Vous devez dire aux Français qu’ils fassent leurs trésors des Testaments de S. Remi, de Charlemagne, de S. Louis, qui se résument par ces mots si souvent répétés par l¹Héroïne d’Orléans : Vive le Christ, Qui est Roi des Francs ! A ce titre seulement, la France est grande parmi les nations. A cette clause, Dieu protégera et la fera libre et glorieuse ».
Grâce à nos premiers évangélisateurs, la Gaule était déjà devenue chrétienne. Avec Clovis, c’est le gouvernement de l’État lui-même qui le devint, jusqu’à la funeste Révolution. Avec Louis XIII, l’histoire de notre chère France passa à un degré encore supérieur, par la consecration à l’auguste Mère de Dieu, la femme qui est, parmi toute la Création, le chef d’oeuvre du Seigneur.
Ce Voeu, scellé le 10 février 1638 par l’édit de Saint-Germain-en-Laye, est aussi important que le Baptême de la France salué par nombre de papes et de Saints ; car en la personne du roi de France, en lequel s’incarne notre nation, c’est la France entière qui est fixée solennellement dans le désir de demeurer fidèle aux promesses de son baptême à Reims, comme le rappela le pape Jean-Paul II en 1980 puis en 1996 ; cet acte est la consécration mariale qui suit logiquement la cérémonie du baptême, et correspond aussi à la belle cérémonie de la profession de foi. Pour pousser l’analogie jusqu’au bout, nous pourrions pour ainsi dire supposer que l’épopée de sainte Jeanne d’Arc, conduisant son gentil Dauphin en la cathédrale rémoise, correspondit à la Confirmation de notre Patrie, Notre-Seigneur Jésus-Christ se servant de notre heroïne pour affirmer Sa royauté directe sur la France, royauté simplement confiée en commende à l’aîné de toutes nos familles.
Et remarquez qu’à chaque fois, le Seigneur attend que tout soit réduit à néant d’un point de vue purement humain, pour intervenir et faire éclater Sa gloire ! selon l’affirmation de S. Paul aux Corinthiens : “Dieu a choisi les choses viles de ce monde, et les méprisées, même celles qui ne sont point, pour abolir celles qui sont” (I Cor. I, 28)
Qui n’a pas l’Église pour mère, n’a pas Dieu pour père, disait S. Cyprien. Qui n’a pas la bienheureuse Vierge Marie pour Mère, ne peut avoir Dieu pour père, dirons-nous également.
Or un pieux roi nous la constitua en règle Reine de France, lui consacrant à jamais sa personne, son État, sa Couronne et ses sujets.
Ce Voeu – intrinsèquement lié à la venue au monde d’un héritier si désiré… que cela deviendra son nom (Louis-Dieudonné) –, fut le fruit des prières de tout un Royaume, des monastères royaux jusqu’aux plus humbles familles. Après sa signature, le P. Joseph, conseiller de Richelieu, “établit un programme pastoral pour le faire prêcher dans toute la France, pendant 3 ans, à partir de janvier 1639”, projet qui eut une ampleur exceptionnelle qu’il continue de faire vibrer nos âmes. Et nous ne pouvons que nous réjouir de la renaissance et recrudescence, ces dernières années, de ces processions du 15 août, des grandes villes aux villages de nos campagnes.
Combien de grands personnages et de mystiques y furent associés ! Richelieu, Mère Anne-Marie de Jésus Crucifié, Sr Marguerite du Saint-Sacrement, le P. Caussin, Louise de La Fayette, etc. Et Notre-Dame apparut il y a un demi-millénaire à Cotignac avec S. Michel, l’Ange gardien de la France, et S. Bernard, l’un des Français qui lui fut le plus dévot, et obtint le titre de Chantre de la Vierge Marie.
Avec Louis XIII, nous voulons (je le cite) : « implorer en ce jour sa protection afin que, sous une si puissante Patronne, notre royaume soit à couvert de toutes les entreprises de ses ennemis, qu’il jouisse longuement d’une bonne paix ; que Dieu y soit servi et révéré si saintement que nous […] puissions arriver heureusement à la dernière fin pour laquelle nous avons tous été créés ». Le père du Roi Soleil, Louis le Juste, donne ici une magnifique leçon de doctrine sociale de l’Église, en rappelant que la grande tâche de la politique, la plus grande des charités, est de préparer ici-bas les voies vers le Ciel, en essayant d’en donner un avant-goût, tandis que le clergé prépare directement les âmes à ce même but.
Fidèles au « génie catholique et français » (selon le pape qui béatifia la Pucelle d’Orléans), « les grands évêques et les grands monarques, qui ont créé et si glorieusement gouverné la France, ont […] su donner à leur peuple la vraie justice [et] le vrai bonheur ».
Nos Papes et les Conciles vous appellent vous aussi, chers Fidèles laïcs, à évangéliser, à christianiser l’ordre temporel, selon les conseils que le 1er pape du XXe siècle donnait aux évêques français, en la Saint-Louis de 1910 (il y a à peine un siècle, mais dans un temps tout aussi troublé) :
« De tous temps, l’Église et l’État, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; l’Église, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé; et il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine : car – poursuivait le pontife – les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires ni novateurs, mais traditionalistes ».
Et « Il faut le rappeler énergiquement, dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et législateur : on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Et là, le pontife visionnaire gagnerait à être enfin écouté : Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la Cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins, contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété: OMNIA INSTAURARE IN CHRISTO ».
Eh bien par ses apparitions, ses manifestations, ses miracles redoublés (corporels ou spirituels) en notre terre de France, la Mère de Dieu ne sert pas d’autre cause, en manifestant la sollicitude empressée qu’elle nous porte, et qui ne peut nous laisser de marbre.
De la Vierge majestueuse de Cotignac, à la Vierge en pleurs de La Salette, de Notre-Dame-de-l’Annonciation de Cotignac à Notre-Dame-de-l’Assomption du Val, c’est toujours la même Reine de France qui vient exhorter ses enfants à reprendre le flambeau de leurs ancêtres, en poursuivant “l’écriture en acte(s)” des Gesta Dei per Francos. Ces nouvelles pages de notre Histoire, c’est à vous, mes Frères, de les écrire concrètement, avec vos talents, vos sacrifices, vos mérites, vos sueurs… et peut-être votre sang !
Permettez que j’achève en prêtant mes lèvres au grand saint Pie X, qu’un vrai Français ne peut se lasser de citer et méditer, tant il avait bien pénétré l’âme française:
« Le peuple qui a fait alliance avec Dieu aux Fonts Baptismaux de Reims se repentira et retournera à sa première vocation.
Les mérites de tant de ses fils qui prêchent la vérité de l’Évangile dans le monde presque entier – et dont beaucoup l’ont scellée de leur sang –,
les prières de tant de Saints qui désirent ardemment avoir pour compagnons dans la Gloire Céleste les frères bien-aimés de leur patrie,
la piété généreuse de tant de ses Fils [sans doute désormais moins nombreux hélàs] qui, sans s’arrêter à aucun sacrifice, pourvoient à la dignité du clergé et à la splendeur du culte catholiqu (c’est la raison d’être de notre Ordre),
et, par-dessus tout, les gémissements de tant de petits enfants qui, devant les Tabernacles répandent leur âme dans les expressions que Dieu-même met sur leurs lèvres,
appelleront certainement sur cette nation les miséricordes divines.
Les fautes ne resteront pas impunies,
mais elle ne périra jamais, la Fille de tant de mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes.
Un jour viendra, et nous espérons qu’il n’est pas très éloigné, où la France, comme Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une Lumière Céleste et entendra une voix qui lui répètera : Ma Fille, pourquoi Me persécutes-tu ? Et, sur sa réponse : Qui es-tu, Seigneur ?, la voix répliquera : Je suis Jésus, que tu persécutes. Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que, dans ton obstination, tu te ruines toi-même. Et elle, tremblante, étonnée, dira : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Et Lui:
« Lève-toi,
lave-toi des souillures qui t’ont défigurée,
réveille dans ton sein les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance,
et va, Fille Aînée de l’Église, nation prédestinée, vase d’élection,
va porter, comme par le passé, Mon Nom devant tous les peuples et devant les rois de la terre ».
Voilà aujourd’hui notre prière, ô Notre-Dame de Grâces de Cotignac. Ainsi soit-il.
+